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OUVERTURE
L'exposition s'apparente au dédale c'est bien sûr. Les directeurs, têtes coupées, rois et reines sont fuis ou s'effacent. Chaque tableau est une machine libre, pièce à production anarchique, dont l'œil encore allume la mèche en pensée, c'est-à-dire le long travail, la mécanique de l'artificier. La suite s'arpente, se lit à l'endroit, puis de derrière, elle doit savoir être prise de tous les coins ; quand bien d'autres voudraient la voir linéaire et strictement, elle obéit déjà à la stratégie des alentours. A force, la structure semble plus ouverte, alors que les yeux défilaient dessus, sautent d'une case à une autre dans la logique molle d'un passant. Des pièces, un échiquier, il ne reste plus qu'à jouer la partie ou la commenter, faire de beaux coups, détourner l'attention, perdre son adversaire, faire ses attaques dans de beaux gestes. — Un joueur attablé pense, consulte ou compulse. Une partie est toujours l'affaire de quelqu'un d'autre, et tous ceux qui ont joué l'accompagnent. Il faut voir venir, puis recommencer à nouveau ce qui ne devait être qu'une partie manquée.
Il est probable, ou du moins il ne serait pas surprenant, que le trompe-l'œil et les pratiques qui lui sont apparentées ne soient mentionnés dans aucune monographie concernant les courants artistiques de ces cinquante dernières années, a fortiori de la dernière décennie, tant cette école fait mauvaise figure auprès des historiens d'art respectables et des critiques d'art contemporains. Le mépris dont souffre cette école, qui jouit, il faut bien le reconnaître, d'une image déplorable, tient à ce qu'on la considère, à tort ou à raison, comme un regroupement d'artiste tournés vers le passé, dont les critères plastiques sont en parfaite opposition aux canons esthétiques du vingtième siècle. L'hyperréalisme américain n'est jamais oublié dans ces mêmes monographies, preuve que l'on ne peut pas attribuer le dés amour du trompe-l'œil à son caractère résolument figuratif, mais plutôt à la volonté farouche de ce dernier de conserver l'héritage pictural du dix-septième siècle. En effet, si l'hyperréalisme, tout comme le trompe-l'œil, s'évertue à semer le trouble dans nos perceptions, c'est en utilisant de nouvelles techniques graphiques — comme par exemple l'aérogrographe, emprunté aux publicitaires qui réalisaient leurs affiches grâce à cet outil — mais aussi par l'intervention d'un nouvel intermédiaire dans le rapport à la réalité. Les artistes issus de cette école firent de la représentation d'après photo une thématique venant enrichir leur propos, licence qu'aucun peintre trompe-l'œil ne pourrait se permettre, sous peine d'exclusion. Plus encore, alors que les américains firent du monde urbain leur sujet attitré, représentant aussi bien les enseignes publicitaires, que des immeubles modernes emprunts d'une froideur poétisée, ou les moyens de locomotions de toutes sorte ; alors que les hyperréalistes firent de leur figuration, ouverte sur le monde extérieur, une violente arme critique contre la vision lisse du bonheur américain, les peintres trompe-l'œil s'enferment dans leur atelier, contenant leurs sujets dans des boites et leurs boites dans des cadres. Le trompe-l'œil peut alors vite paraître déphasé. Absorbé dans son passéisme, cramponné à ses fins pinceaux, il finit même par sentir le renfermé, toujours au goût de quelques vies bourgeoises fascinées par tant de technique, tant de minutie dans un si petit tableau — " Ça c'est de la peinture ! " — nullement choqué par aucun sujets, tous plus condescendants les uns que les autres, envahi par le simple plaisir de pouvoir contempler ce qui est. La peinture, dira-t-on, ce qui compte c'est la peinture et la peinture seulement, le reste, la poétique ou la politique, tout ce fatras s'efface devant la peinture. Mais il existe une autre voie pour sortir la peinture réaliste de son isolement — qu'il soit volontaire ou non. Peut-être faudrait-il arriver à relire l'histoire et relier, nouveau réalisme et trompe l'œil — tout comme hyperréalisme et Pop Art — les accumulations des uns, les mises en scènes des autres, les vieux objets finis des uns, et les déchets des voisins. Peut-être faudrait-il voir que ce qui est peint chez les uns est collé à la toile chez les autres, deux effets de réalité différents qui procèdent des mêmes objets, des mêmes emboîtages, du même amour de la matière.
LES DISPARITIONS
L'essence du trompe-l'œil — conçue de façon abstraite, sans peintre ni pratique — se réduit à un programme. Il a une fin unique : créer l'illusion du monde visible, il cherche l'objectivité d'un point de vue. Un tel projet n'est pas à proprement parler de la peinture, mais l'expérimentation des limites de la création picturale. La finalité n'est pas de matérialiser une vision de l'objet peint, mais de faire disparaître le sentiment de la peinture ; cette dernière doit devenir imperceptible, impalpable, insaisissable. Vu dans toute sa pureté, il y a une haine de la peinture et du peintre qui semble se loger à proximité du trompe-l'œil. Elle en serait la toile, cette trame sur laquelle tout viendra se déposer.
D'après cette idée, la rigueur de l'artiste qui veut tromper l'œil doit être extrême, sous peine de manquer sa cible. Il doit s'astreindre, se contenir, être minutieux et barbare à la fois, précis à n'en point dormir, propre à en mourir. La technique ne souffre aucun défaut. Le trompe-l'œil a ses règles, strictes, auxquelles on ne peut déroger, pour que l'effet d'illusion ne soit pas compromis : peindre à l'échelle, dans l'axe et d'après nature, justifier le format de la toile par un fond clos limitant la perpective, ne laisser transparaître aucune trace visible de peinture. Il ne faut pas s'écarter, mais chercher la concordance. Ce peintre, perçu abstraitement, vit une lutte permanente pour faire l'illusion, il doit s'effacer, effacer toute stylisation personnelle, tenir en bride la tentation du lyrisme. Il doit pouvoir devenir impersonnel. L'artiste et son inspiration doivent laisser place à une technique irréprochable mise au service d'une froideur plastique absolue. Le trompe-l'œil en ce sens serait le deuil de l'intime ; il faut savoir étouffer cette voix intérieure, le pathos affecté du créateur qui croupit dans son intimité, et disparaître derrière et dans la toile.
Alors, la peinture aurait du atteindre les sommets : purifiée, sans accent, gratifiée de mille louanges. Forte, solide et intransigeante, elle devient science exacte, mais habile aussi, enfin plus libre, au moment où la rigueur laborieuse se transforme en génie graphique. Une peinture et seulement de la peinture — l'artiste s'est sacrifié pour cela — vers l'absolu pictural. Mais voilà, cette idée du trompe-l'œil et celle du peintre qui en émerge sont chimériques. L'illusion picturale est fugitive, le peintre n'est pas un monstre de froideur, pur et impassible. Remonter à l'idée du trompe-l'œil nous permet alors de mieux apprécier l'écart entre celle-ci et la pratique effective, voire ce qu'il reste de cet idéal et ce qu'il y a de factuel.
[4] Les bouchons [on vera trois autres abstractions, dans le détail [17] et renvoie à confusion des sens[18], et à l'abstraction de l'objet de son contexte]
Aucun tableau ne peut durablement tromper l'œil, tout au mieux le fait-il quelques instants, au bénéfice de l'inattention du spectateur. Mais l'étonnement demeure. Comment est-ce possible, comment arriver à être fidèle à ce point ? Peut-être est-ce une photo ? Tout cela force le respect. Mais il y a plus, un trouble persistant, un malaise. Cette peinture fait obstacle, elle accroche l'œil, parce qu'à la regarder, un vertige, un doute général quant à la réalité du monde se font jour parce qu'il est possible de la figurer d'aussi près. C'est tout simplement une mise à l'épreuve des certitudes sensibles, une expérience physique de la confusion entre fiction et réalité qui met mal à l'aise et inquiète. Tout vacille, la confusion est reine. Se pencher sur le réel, c'est toujours emmêler, ce qui de loin nous paraissait clair et distinct. S'approcher, c'est rendre impossible toute évidence. Cette peinture nous apprend que la fiction se loge au plus près de la réalité. Le peintre joue avec elles pour jouer avec le spectateur qui est pris à parti ; il faut lui faire violence. Un état d'ivresse, doux ou violent peut ainsi assaillir le spectateur, dont la perception du monde ne peut dès lors plus être la même. Peut-être la meilleure façon de se détacher de la réalité est-ce de la représenter au plus près, de la désigner pour la troubler et l'inquiéter.
[5] Vanité aux livres. [cf. 11 et 13]
Le trompe-l'œil — ou la nature morte qui en est issue — est un tour de force. Tant de précision de rigueur et de concision, le public exulte, crie d'émoi devant ce sommet technique. Mais il ne faut pas croire pour autant que cette maîtrise des effets de réalité est froidement manipulée par des machines appliquant de strictes recettes. Cette prouesse est au contraire un exemple parmi d'autre qui atteste la réalité charnelle du peintre. Il y a un praticien qui cherche et recherche, ajuste et réajuste les masses en équilibres ; dans la mesure il faut savoir se tenir à distance raisonnable. Et ce défi est attisé par la recherche constante de sujets impossibles. Le peintre élargit sa gamme de matières à représenter vers le plus difficile, voire l'irréalisable. Pour qu'une toile soit bonne, il ne suffit pas qu'elle sème le trouble chez le spectateur, il faut encore que les matières figurées aient un niveau de complexité suffisante pour susciter le respect, l'admiration ou même la jalousie des autres. Le peintre veut toujours en faire plus, il ne se contente jamais de la simple illusion, il faut qu'elle se fasse dans les contextes les plus ardus, quand les matières, les motifs sont complexes et enchevêtrées. Une fois encore l'idée du trompe-l'œil qui exigeait un peintre effacé, disparaissant derrière sa toile est intenable. Le défi, l'orgueil : le peintre est là, personnage, caractère, tout se lit sur la toile. Intimement lié à ses objets — est-il assimilé, ou se les est-il appropriés ? — il se met en scène, en maître du réalisme, roi de l'illusion. L'ego est là, partout sur la toile il brille. Et la signature, incrusté dans l'objet — écrin vivant — qui devait sceller la disparition du peintre dans son sujet, est parfois aussi le signe d'une conquête indéniable, le drapeau planté dans un nouveau territoire. Il s'ancre sur la toile.
Le style est un signe : celui de l'impossible réalisation de l'idée du trompe-l'œil ; un autre symptôme encore de l'échec du programme [cf. 3]. Car plus la manière est visible, moins l'illusion est durable. Le style est donc une mesure à prendre, c'est la mesure de l'écart entre l'idéal et ce qui est atteint effectivement. Et dire du trompe-l'œil qu'il manque son objectif, que chaque peintre a son accent, ce n'est pas pour déprécier cette école, bien au contraire l'existence de spécificités est le fait d'un art vif, expérimenté différemment dans chaque atelier. Le trompe-l'œil est une pratique vivante, et toute pratique appelle la passion ainsi que le détournement du programme initial et général en une fin particulière : un homme avec ses pinceaux doit affronter des problèmes qu'il résout dans sa singularité. Le style résulte de cette passion minutieuse de certaines formes, modelés, et surfaces, d'un amour du rendu, et de la meilleure façon d'y parvenir. [cf. 10]
Ce style est un reste, un résidu de combustion, ce qui n'a pas pu être annulé, en somme, un irréductible. Le peintre doit être impersonnel, disparaître, mais il ne s'abstrait qu'à un certain niveau pour mieux ressortir ailleurs, et prendre toute l'ampleur de son travail dans certains domaines. Tout ce qui est de l'ordre du choix et qui commande la toile avant même que le peintre commence à l'exécuter — le choix d'un sujet, la libre association des objets, l'inclination de la lumière, de son intensité, l'extension de la palette, la teinte du fond — tout cela ne peut être supprimé, et c'est ce qui fait la touche d'un peintre.
EXPOSER
[7] Au clou [cf. Mécanique, sur la position ; si on accroche pas, on pose forcement]
La peinture est un problème d'agencement. Organiser des groupes et des figures, des ensembles en amas maîtrisés, il faut savoir faire vivre les objets, les mettre en situation pour les faire parler. Mais alors que la simple nature morte représente plus souvent ce qui est posé sur une table, restes oubliés ou trophées exposés, l'école du trompe-l'œil s'évertue à multiplier les modes de fixations au mur et à la boite : épingler, punaiser, coller, scotcher, clouer, agrafer, suspendre avec des ficelles, des élastique et des rubans. Puisque la technique illusionniste exige une représentation frontale d'un espace peu profond, ces jeux d'accrochage deviennent même une des composantes majeures du trompe-l'œil pour faire varier les dispositions. Afin d'utiliser tout l'espace rendu clos par un mur ou un fond de caisse, il est impératif d'avoir recours à ces stratagèmes.
Paul Magendie ne le fit qu'une fois : pas de papier, pas de scotch, ni de photo, simple suspension, une lampe de poche et des clés clouées au mur, studieuses elles prennent le soleil qui tombe en attendant la nuit du propriétaire. L'agencement fait parler les objets, mais le mystère demeure.
[8] Le cheval, la poupée et les dominos.
Mais l'intérêt de ces jeux d'accrochage n'est pas uniquement commandé par des contraintes techniques et illusionnistes. Ces agencements permettent par des rapprochements — lointains ou évidents — de désigner un au-delà de la toile. Le sujet trompe-l'œil est souvent intime, confiné et tient le plus souvent de la miniature, quant bien même la surface peinte serait importante, voire très importante. C'est une peinture d'intérieur et d'atelier, mais le jeu de l'agencement permet de sortir du confiné, physiquement, narrativement, ou thématiquement. Gilou dans son Volet de jardin — tout en respectant les contraintes du genres — transporte le sujet et le spectateur en même temps, de l'atelier à l'extérieur par un jeu d'ombres portées qui évoque la présence d'un arbre et d'un jardin. La toile, par le rapprochement de divers éléments, désigne en même temps le travail du jardinier. L'action étant impossible à représenter directement, il faut la suggérer en passant par le jeu abstrait de l'association d'idée. Ce même procédé est constamment utilisé par Yvel pour évoquer une vie et ainsi retrouver des accents narratifs (Si vous saviez, Jour de pluie, Mur de Priscilla) ou un événement historique (Liban), voire allégorique.
Il semble que Paul Magendie ne fit qu'une seule fois de la combinaison expressive. Savoir ce que ce regroupement désigne précisément, appelle une autre partie, sans aucune explication, libre est la lecture.
[9] Un œuf dans un étain, un verre de lait.
Les toiles de Paul Magendie se penche souvent sur un objet ou à un petit groupe de choses. Leur représentation n'a pas pour but de les replacer dans un contexte quotidien ou utilitaire, mais au contraire de les détacher de tout caractère narratif. Il n'est alors pas surprenant que la boîte soit tendanciellement abandonnée chez Paul Magendie au profit d'un fond uni, parfois informe ; cela participe semble-t-il de cette même recherche de dépouillement. Une toile figurative désigne habituellement un au-delà en suggérant un extérieur de la toile ; l'objet est travaillé pour renvoyer au concret d'une situation quotidienne vécue ou celui d'une configuration thématique [cf. 8]. Ici au contraire, les agencements ne sont pas conçu et réalisés de manière à ce que l'on sorte de la toile, mais de façon à ce que l'on pénètre dans la puissance d'évocation abstraite d'un l'objet ; l'au-delà est creusé à l'intérieur même du tableau. L'objet devient mystérieux, sa présence et sa fonction alors se transforment elles-mêmes en énigmes ; questions et mises en doutes qui deviennent les sujets du tableau. Que fait-il là, s'il ne sert à rien et à personne ? Pourquoi prend-il la pose bêtement ? Que veut-il dire ? L'objet devient chose, idiotie, un bloc dur infranchissable ; il fait obstacle. Ces associations formulent une vive interrogation qui inquiète notre quotidien. Et le spectateur se surprend parfois même à frôler ou supposer une dimension métaphysique au sujet représenté ; ce ne sont plus des objets, mais des éléments, des substances : un poids, l'air, la chaîne, l'éther, l'œuf, un fruit. Essentialiser l'objet, lentement, il devient symbole sans fond, parce qu'il ne renvoie à rien d'explicite.
[10] Les œufs sortis du pot de crème fraîche.
Seul, l'objet demeure, extrait page à page de toute mémoire. Ne reste plus qu'un amas nu pour le peintre qui s'intéresse à ses formes ; de les laisser parler, de les laisser s'épancher. L'objet — sa forme, ses couleurs, ses matières, ses volumes — impose librement son autorité et ses lois. L'artiste est dépendant des données graphiques du sujet, il s'en remet entièrement à lui. Le roi est là, le peintre n'a qu'une seule tâche : obéir, c'est-à-dire traduire visuellement ce que l'objet veut bien lui délivrer.
Mais le pouvoir de l'objet s'exerce dans un monde devenu incertain, une cellule pure aux règles modifiées. Le cadre disparaît, et les contours flous. Le fond se fait masse informe, grisonnante ou bleutée. L'anecdotique, transposé dans un espace immatériel, se perd, baigné dans ce lieu sans ligne devenu teintes. Les objets s'égarent dans l'espace, ils flottent dans une douce lévitation : l'atmosphère n'est plus terrestre. Seules quelques ombres indiquent la localisation que le spectateur désire et devine. Le contexte est un contre-pouvoir que le peintre soutient pour influer. Puis les formes arrondies sont préférées aux angles trop durs : l'autorité n'est plus ce qu'elle était. Mais l'objet est appelé à se perdre encore : ses bordures sont des frontières approximatives, qui hésitent encore entre le fondu gris et son territoire plein. L'œuf aurait pu être plénitude, forme homogène et despotique, mais son devenir est brumeux ; sa courbe hésite, elle tremble devant la tâche improbable — se détacher — si bien que le fond est en son sein, il grignote l'intérieur. En somme, si l'objet est roi, c'est lorsque le fond le laisse tranquille.
MECANIQUE
Tout le monde le sait, la peinture joue avec les forces d'équilibre, avec la loi de la gravité et toutes celles de la mécanique. Apparemment, le trompe-l'œil, peinture réaliste, est affaire terrestre, rien ne tombe rien ne bouge, tout conforme à l'universelle et immuable causalité, parce ce tableau fait une image fidèle du monde.
Mais nous oublions parfois que la toile est le résultat d'un long processus d'ajustement des forces en présence. Alors que tout parait posé sur le stable, régulier et immobile, dans le temps, derrière, avant ce fut pagaille, la mise en place en coin coulisse. Parce qu'il n'y a aucune règle de composition admise — c'est empirique — le sujet est à refaire et à réajuster. Cet objet serré vers la gauche, qui pour nous s'y trouve bien et ne l'a jamais quitté, est passé successivement par dix sept ou vingt-trois étapes intermédiaires. Poids et contrepoids, la mécanique de l'insatisfaction. Avant après, il a fallu déplacer, mouvementé, recommence, tout refaire, défais, pour trouver la bonne disposition, l'équilibre satisfaisant.
Mais d'autre part, cette satisfaction de l'équilibre n'est pas nécessairement conforme. Certains se disent : si cette peinture est réaliste, c'est parce qu'elle obéit aux lois de la nature. Mais ne pas les adorer et défier les mesures universelles, c'est motiver l'intérêt du peintre et du spectateur. Ces absurdités font vibrer l'ensemble de la toile. La composition finale déjoue toujours d'une façon ou d'une autre les lois de la pesanteur, et arrive pourtant à faire admettre cela comme normal et naturel, tout en maintenant une certaine gêne. Le peintre forge lui même son équilibre, il réinvente les lois.
"Le frottement est l'ennemi le plus sérieux du fonctionnement des machines. Lui seul est cause qu'on ne peut réaliser le mouvement perpétuel.
Pour vaincre un effort résistant, nous produisons un effort moteur qui agit par l'intermédiaire de mécanismes. Aussi simple qu'ils soient, les organes du mécanismes frottent les uns contre les autres ; ils ont à vaincre des résistances qui consomment une partie de la puissance fournie, sans produire de travail utile. Le travail moteur est donc toujours supérieur au travail résistant, et le rendement de la machine n'est jamais égal à l'unité. Nous ne pouvons donc pas construire de machines capables de continuer à marcher quand l'effort moteur s'arrête.
La recherche du mouvement perpétuel a cependant toujours séduit des inventeur de bonne foi. Caprat construisit, en 1778, une machine formée d'une roue portant des poids à l'extrémité de levier basculants. L'inventeur pensait que la résistance variable des poids par rapport au centre de la roue suffirait à mettre la machine en marche. Or l'action des poids est exactement égale à la réaction du système, et la machine s'obstina à rester immobile".
[13] Bobine de fil bleu, petits ciseaux, crâne en déséquilibre
Un tableau se compose, c'est une certitude ; composer un tableau c'est parfois difficile, qui en douterait ? Toute composition se fait par l'association de plusieurs éléments, et là réside le problème. L'association n'a jamais rien d'évident, pourtant il faut la rendre la plus naturelle possible. Poser ensemble des parties qui n'ont pas nécessairement quelque chose en commun relève alors souvent de la médecine chirurgicale. La greffe, réaliser la greffe, impossible chose — problème de compatibilité, puis le rejet. S'il semble que deux tissus soient conciliables, il faudra trouver les stratagèmes pour éviter la barrière.
Une composition est une succession dans l'espace, parfois surprenante, de plusieurs natures ; peindre cet équilibre, c'est réaliser des transitions et minimiser l'écart séparant ces objets. Le tableau, résultat visible de ces passages, les yeux circulent à sa surface, de droite à la gauche, de gauche à une droite, de haut dans le bas, de bas vers le haut, d'une valeur à une voisine, pour lire une suite latérale de choses hétérogènes. Le regard est renversé de proche en proche est balancé de côté est retourné. Mais comment de tels objets, aussi variés dans leur nature et leurs matières, peuvent-il être maintenu ensemble ? Comment une transition entre eux est-elle possible ? Le peintre doit savoir éprouver les lois de la mécanique, il doit savoir mesurer les poids, les équilibres pour maîtriser les jeux de bascule. Le dosage des lumières, des tons qui tombent offrent aussi des solutions. Les mécaniques du dégradé sont autant de chemins astucieux pour tous ceux qui tentent de trouver le passage dérobé. Mais ce sont les tableaux, les natures mortes, qui doivent nous en apprendre le plus à ce sujet. Car ces tactiques sont fines et exaltantes, toujours nouvelles et audacieuses, ce sont des secrets précieusement gardés que l'on tente de mettre à jour de longues heures durant.
EXPERIMENTER
"La tâche que nous nous sommes imposée, en publiant cet ouvrage, a été d'aplanir les difficultés que rencontre l'élève au commencement de ces études anatomiques. Nous croyons êtres arrivés à notre but en esquissant, d'une manière aussi concise que possible, les innombrables détails que présente le corps humain, et en joignant à notre description des figures destinées à les représenter. Notre travail se compose donc de deux parties : le texte et les planches.
L'anatomie est la science qui a pour objet de nous faire connaître l'organisation des êtres vivants. L'anatomie humaine nous apprend l'organisation de l'homme. Les différents organes qui composent le corps de l'homme ne peuvent être étudiés qu'à l'aide de préparations au moyen desquelles on les isole. Les moyens les plus souvent utilisés sont : la dissection, la macération, les injections et l'insufflation.
Les injections sont presque exclusivement destinées à la préparation des vaisseaux. L'insufflation nous montre la forme des organes, rend apparent certains petits canaux ; permet d'étudier, lorsqu'elle est combinée avec la dessiccation, la disposition de certains replis, la valvule pylorique, la valvule iléo-cæcale, par exemple. Les macérations consistent à faire séjourner dans un liquide, pendant un temps plus ou moins long, l'organe que l'on veut étudier. La dissection consiste à isoler avec l'instrument tranchant les différentes parties du corps, afin d'en étudier la disposition, la structure, les rapport etc. Ce mode de préparation est presque exclusivement mis en pratique ; les autres sont, le plus souvent, uniquement destinés à rendre la dissection plus facile. Les dissections ne devront être faites que lorsqu'on aura déjà connaissance de la région que l'on veut disséquer ; aussi conseillons-nous aux élèves de lire à l'avance la description des organes qu'ils doivent étudier sur le cadavre : sans cette précaution il s'exposeraient à couper des parties qu'ils auraient dû ménager".
Une boite, en un sens fera toujours penser à un cercueil, puis à toutes ces choses dont on voudrait pouvoir se débarrasser au plus vite et sans fracas, résidus trop longtemps conservés d'époques plus ou moins sérieuses. Dans la boite, s'empilent sans compter les fonds de tiroirs ; l'essentiel est de tout faire tenir, pour l'heure peu importe la disposition. Mais le temps passe, enfin les choses prennent la poussière, décomposées aux yeux de tous ; l'impudeur des derniers jours déconcerte à chaque fois. Quel est l'objet sachant souffrir en silence ? Dedans de hauts cris la caisse raisonne, une marche à gauche appelle un sifflet, la déchirure droite l'opéra. Si l'on regarde l'écart, le chant est manifeste. La boite est zone d'expérimentations pour collectionneurs en tous genres : oxydations et craquelures, fêlures rouille, ces petits remous sont capitaux scientifiquement ; le chef en a fait les frais : il a cassé sa pipe. Mais on peut toujours voir après combien de temps les mécanismes s'empilent et durent, et le peintre compte ; il est sensible, un chercheur parmi les spécialistes : peindre la rouille c'est devenir physicien, des failles, géographe. Car autour de la mort même, il faut s'approcher encore. C'est bien-sûr ce qu'il a fait, et c'est obscène il le sait ; de tout montrer, de tout saisir, passer au crible, parce que la pudeur n'est pas son affaire. En somme, en réalité, la surenchère du visible convient à tous : tout objet pour se faire plaindre, le peindre pour la science, les sens qui en raffolent.
Après la nuit la confusion fait suite, que de perte que d'oubli. Le lendemain est hécatombe — il doit vite aller à confesse, prétoire et presbytère — laisse une traîne âpre. Incontournables, les fait sont posés sur la table, accablants. Le peintre rêve et songe, il s'explique. " J'avoue j'ai péché, je le sais, mais mes yeux se sont fermés ". Le prêtre au courant, dépose l'eau bénite et ausculte. " Le cas est délictueux, laissez-moi vous débarrasser, mais d'abord montrez tout ". L'élève attardé fait de son mieux, l'art même émerge : la fraude en pénombre, les mensonges ces folies sorcières, l'imagination débridée, la sarabande des êtres malfamés. " Soyez plus précis, soyez moins fantasque, quel fût ce résultat, pensez, à quoi être vous arrivés ? " L'obscénité devient palpable, à force de batifoler avec le visible c'est ce qui arrive immanquablement. " Reprenons dès le début ". " Je m'applique, je vais tout vous dire ". L'effet de réalité fût intense, mais le conflit en est la suite, car tout se dérobe alors. " Dedans, sous la jupe, une fois en dessous dedans la jupe, et même encore plus loin c'est arrivé : extase miracle, ou saint esprit, tout s'est volatilisé. Il y a une frontière infranchissable, c'est un manteau imperméable ". L'impossible méandre du visible que l'on préfère masquer — ce que l'on ne peut montrer il faut le cacher. L'élève reprend une dernière fois : " représenter tout le visible pour laisser le champ libre aux autres sens ". Tout représenter pour pointer ce qui s'absente, le creux recèle de l'invisible, c'est un monde tacite. Limiter le champs du visible pour libérer l'immatériel.
[17] Les Ampoules. renvoi à [24]
La loupe est un instrument diaboliquement utile, tout comme le microscope. L'œil s'approche, de près et encore plus près qu'à l'accoutumé. C'est assez excitant, il faut bien le reconnaître, de plonger si loin, de sombrer dans le détail de la chose. Plus d'un et beaucoup plus d'un vraisemblablement en ont même perdu la tête et se sont voués à l'étude des insectes, pour travailler sous la loupe, et sur des bactéries pour jouer au microscope. En même temps, l'esprit se grise à faire varier les éclairages, les teintes et les tons chauds ou froids. Le scientifique recherche la bonne ombre et ce juste dégradé ; cela se travaille au millimètre, parce que la scintillation et le chatoiement sont des diamants. Des instruments à l'imprononçable précision deviennent les compagnons fidèles de ces solitaires incurables. L'œil se complaît dans ces jeux savants interminables : décomposer les lumières pour expérimenter les spectres dans le prisme, c'est une petite passion quotidienne. Il va détecter les infimes replis lumineux, les spirales embrouillées de lampe. Mais la vue se trouble et bien vite il faudra des lunettes pour voir correctement : l'outil une fois mis de côté, tous les repères se sont évanouis. Et tout spectateur peine à trouver la bonne place. Car le trompe-l'œil joue aussi sur le fil de ce paradoxe, celui du travail de la miniature : plus on s'approche plus on s'éloigne. Plus il s'affaire à rendre lisible le détail, à restituer fidèlement les modelés — les teintes — les reflets moirées et les aspérités de la matière, plus l'œil s'éloigne et tombe dans l'abstraction. Cela n'est bien-sûr qu'une question d'échelle.
CONFECTION
Tactile
(composition de la matière) (textile…) soyeux dentelé tapissé satiné ouaté cotonneux laineux feutré filandreux plastifié (terre) pierreux argileux rocailleux sablé granuleux marneux graniteux marbré siliceux vaseux boueux sableux calcaire terreux plâtré plâtreux caillouteux poussiéreux cristallisé nacré perlé graphiteux (mer) écumeux écumant (matières organiques) caoutchouteux pulpeux résineux nervé duveté velu poilu pileux molletonné moiré écailleux gélifié émaillé laqué verni boisé savonneux plastique réguleux élastique uligineux ciré épineux cendreux feuillé (consistance) Dur mou solide tendre souple rigide lisse lissé poreux creux compact rude onctueux spongieux moelleux velouté doux rugueux lisse râpeux glissant accrocheur résistant visqueux suintant sirupeux collant coulant crasseux gras gluant graisseux pâteux poisseux adhérent agglutinant rêche vitrifié raboteux densifié spumeux (température) tiède frais frisquet froid frigorifique glacé glacial ardent chaud torride brûlant bouillant humide trempé mouillé arrosé moite sec desséché aride (sensation épidemique) urticant picotant piquant mordant coupant (qualité de la surface) coupé gravé accidenté ébréché ridé sillonné affilé nappé irrégulier écorché fissuré tramé côtelé tissé taillé poli sculpté strié laminé effiloché peigné irrégulier égal heurté saillant pénétrant rentrant creusé troué caviteux percé vidé pointu plein fin épais moisi imperméable serré touffu absorbant imbibé soigné aéré moulé rembourré bourbeux dru flexible pincé tendu (La catégorie de la densité est entre visuel et tactile) plein rempli vide vidé serré dense saturé
Visuel
coloré bleu bleuté bleuâtre jaune jauni jaunâtre rouge rougis rougeâtre rougeauds noir noirci noirâtre blanc blanchis blanchâtre gris grisé grisâtre grisonnant vert verdi verdâtre rose rosé rosâtre orange orangé orangeâtre violet violacé marron marronasse brun bruni brunâtre cramoisi turquoise indigo magenta azur azuré carmin carmillon vermillon pourpre pourpré rubis pivoine mauve bordeaux argenté doré rouillé lacté laiteux ivoirin chenu brûlé fuligineux (lumière) lumineux mat brillant clair homogène illuminé éblouissant aveuglant chatoyant scintillant reflété sombre terne ténébreux obscur crépusculaire scintillant dégradé ombragé tamisé filtré (distance) profond approfondi abyssal loin lointain éloigné près proche rapproché distant distancé aéré (localisation) pendu suspendu porté assis rangé posé classé isolé esseulé bordé entouré accompagné masqué dissimulé enfoui perdu limité délimité cantonné groupé regroupé accumulé amoncelé confiné (conditionnement) enrobé enturbané enrubanné enroulé empaqueté ficelé (graphie) barré rayé raturé écrit calligraphié typographié policé imprimé manuscrit graphique dessiné peint peinturluré esquissé croqué photographié photocopié reproduit sérigraphie lithographié taché sale souillé (Mouvement) (vitesse) rapide lent retardé accéléré vif preste hâté statique figé immobile statufié pétrifié (mouvement direction) tombé retombé tombant montant ascendant descendant descendu fuyant accourant giclant implosant explosant explosif dégoulinant dégringolant déversé dérivant mouvementé agité bouillonnant frémissant vibrant extatique rampant volant grimpant sautant sautillant plongeant bondissant voltigeant roulant oscillant déséquilibré coulé décollé débordant (Catégorie de la forme) incliné rond arrondi courbe courbé recourbé ondulé plat aplani droit triangulaire carré circulaire rectangulaire pyramidale aigu sphérique allongé dentelé piqueté emmêlé torsadé (taille) petit ténu grand agrandi minuscule infime réduit énorme immense gigantesque incommensurable infini gros obèse affiné fin maigre réduit large étendu étalé épais gros
Goût
sucré doux mielleux fruité abricoté vanillé chocolaté salé salin saumâtre poivré pimenté relevé épicé assaisonné amer âpre âcre acide acidulé aciduleux piquant aigre citronné acrimonieux sur surelet
Un tableau parasite l'espace, en fait son déjeuner ou son dîner, et tout site est bon pour ce vorace. Il s'accroche agrippé à quelque mur, partout où il trouve des ressources et mène cette existence paisible. Il ronge les pièces, pirate les appartements ; mais c'est un noble hôte malgré tout. Souvent, l'ironie du sort de ces goinfres veut aussi qu'ils offrent, discrets, à notre œil des scènes appétissantes, nous invitant à partager leurs repas. Ces tableaux savent couler des jours heureux, à l'ombre de quelque toit, ils profitent de l'hospitalité d'un salon sans trop être remarqué. Ils sont pudiques et les objets dissimulés ; leurs turpitudes sont silencieuses. Cachés et camouflés, ils nous observent silencieux, car à passer devant trop souvent on oublie de les voir. C'est pour mieux nous envisager certainement — les ogres nous maudissent. Ainsi faites les toiles demeurent longtemps et très longtemps, sans compte à rendre — elles s'enkystent. Elles nous aspirent goulues, les uns après les autres, ces repris de justice ont soif. Et personne ne songe à décrocher ces cannibales, qui absorbent aux yeux de tous, nos orbites dégarnies. Toiles et tableaux, il faudra les juger ces faussaires, meurtriers et carnivores ; sous des airs affables et galants, ils vous plantent des pointes pointues dans le dos, quand vous vous y attendez le moins. Ils violent votre vie privée, leurs gros yeux rivés vers nous. Assez, il faudra que cela cesse, et vite. Pouvons nous supporter tant de criminels ? Faisons ces interrogatoires brutaux et brillants, la lumière sur eux, et le film sera sombre. Mettons les à l'abattoir, la guillotine pour les pinceaux et les couleurs à la diète en auront à tout jamais.
"Les œufs à la coque.
Pour obtenir des œufs parfaitement laiteux, il faut les plonger dans l'eau en pleine ébullition et, au bout de deux minutes très exactement, on retire la casserole du feu, on la couvre et hors du fourneau on laisse les œufs ainsi couverts se mettre au lait.
Les œufs sur le plat.
Pour obtenir des œufs sur le plat parfaits, il faut les faire cuire à la vapeur d'eau. Si vous avez sur le feu un ragoût ou des légumes, remplacez le couvercle par une assiette ou un plat de porcelaine, suivant le nombre d'œufs à faire cuire. Mettez fondre dans ce plat, sur la vapeur de la casserole, un morceau de beurre frais. Quand il est fondu, cassez vos œufs un à un dans une soucoupe. Quand tous les œufs sont dans le bol, glissez-les doucement sur le beurre dans le plat et mettez le couvercle de la casserole par dessus. Il vont cuire régulièrement, le dessus du plat étant frappé par la vapeur et les jaunes vont se couvrir d'un voile blanc transparent. Salez légèrement en ne laissant pas tomber de sel sur les jaunes.
Les omelettes.
Cassez dans deux terrines les blancs à part et les jaunes de même. Ajoutez aux jaunes une cuillerée à bouche de lait par deux œufs et remuez jusqu'à complet mélange. Assaisonnez-les seuls, de sel, poivre et tous les accessoires, fines herbes, oignons, champignons, etc., que vous aurez choisis.
Fouettez les blancs de manière à les rendre un peu consistants, non pas complètement en mousse comme les œufs à la neige, mais commençant à se souffler.
Fondre dans une poêle à omelette du beurre frais à raison de 75 grammes pour six œufs et pendant qu'il chauffe, mélangez les jaunes aux blancs. Dès que le beurre commence à bondir, versez les œufs et remuez les avec une fourchette de fer.
Ils vont gonfler comme pour déborder hors de la poêle ; ramenez constamment avec la fourchette les bords vers le centre. Quand ils commencerons à prendre de la consistance, vous n'aurez plus qu'à laisser le dessous de l'omelette se colorer en remuant constamment la poêle pour que ce dessous ne s'y attache pas.
Versez-la de suite dans un plat long en la roulant. Quand on a fait une fois l'omelette de cette façon, on ne veut plus procéder autrement".
NATURE ET USURE
[21] La serrure "Entretien et réparation de la peinture".
"Si peu de personne savent faire une soudure, presque tout le monde croit savoir donner une couche de peinture ou appliquer un badigeonnage. La peinture s'écaille à l'extérieur de la porte d'entrée ; un lambris se cloque dans une pièce humide ; on s'en va chez le marchand de couleurs et on achète un kilogramme ou deux de peinture ; on gratte et lave l'endroit à repeindre et on passe de son mieux une ou deux couches de son acquisition ; au bout d'un an, quelque fois moins, l'opération est à recommencer. Qu'est-il arrivé ? Presque certainement on a pas précisé dans son achat la quantité d'huile de lin et d'essence devant entrer dans le mélange et la marchant a livré ce qui était le plus avantageux… pour lui-même. Comme on le verra plus loin, les recettes ne sont pas semblables pour la peinture dans le logis et au dehors. Puis il y a les pinceau à choisir ; la brosse à laver ne peut pas remplacer la brosse à lessiver ; la brosse de ponce réchampira les moulures bien mieux que tout autre brosse.
Il y a aussi le siccatif dont on abuse pour que cela sèche plus vite. Il y a encore des tas de choses à éviter, la peau de crapaud, les cloques, le picotage, les gerçures, etc. Tous ces accidents ont leurs causes propres ; connaître ces causes, c'est le seul moyen de se préserver efficacement de leurs effets. Mais je n'entrerai dans aucun détail inutile, n'ayant pas ici à faire un cours de peinture en bâtiment ; les recettes seront simplement données pour faire, avec certitude de réussite, l'entretien et la réfection de la peinture à l'extérieur et à l'intérieur de l'habitation.
Il ne faut jamais repeindre avec des couleurs fraîches sur de la vielle peinture ; on doit l'enlever, de toute nécessité pour éviter qu'il se forme des cloques au séchage ; elles se produiraient à coup sûr si l'on superposait des couches nouvelles sur la peinture que l'on veut remplacer. Il existe une quantité de procédés en usage pour enlever la vielle peinture ; les peintres de métier la brûlent d'ordinaire à la flamme d'une lampe à souder. Ce travail n'est pas à tenter pour un amateur ; il demande une habitude et une sûreté de main qu'on ne peut acquérir accidentellement ".
En dessous des têtes maquillées de jaunes et d'oranges, trônent de larges barbes vertes en collerettes. Les uns à côté des autres, et ainsi de suite, il y a une armée de Gardes Suisses, rangée silencieusement, à même le sol ou presque, dans l'attente du prochain projet. Le champ, de batailles, gardé par autant de citadelles baroques, avait néanmoins été aménagé pour laisser passer de vives tranchées, seules capables de faire transiter les vivres nécessaires aux vaillantes courges. Leur regard, si difficile à pénétrer sous les volutes verdâtres, ressemble à celui du valeureux soldat prêt à affronter toute situation, même les pires : posé dans le sable, voire, c'est affreux, rester à table, pour faire la mou devant un jury lassé. Car leurs peintures de guerres et autres camouflages, sont d'une rare préciosité, toutes rivalisent dans l'excentricité de leurs parures, à cette différence près que leur révolution ne peut raisonnablement dépasser un demi-degré ou un quart de ton, aller plus loin serait d'une insoutenable vulgarité ; qui plus est, il faut conserver l'allure et le sérieux de dignes vêtements militaires pour chasser corneilles et corbeaux. La revue des troupes est l'exercice infini de celui qui sait lire les infimes différences, pour inventer la vaste étendue graphique qui se cacher dans un écart minimum. Il faut retrouver le monde dans cette garde robe de la répétition, où chaque costume doit, dans sa singularité infrassensible, faire raisonner tous les autres. Mais, nul n'est à l'abri de l'usure, et par faiblesse ou peut-être gagnées par l'appas du gain, à force d'attendre l'ennemi tant redouté qui n'est jamais venu les chercher, certaines ont accepté de rendre leurs armes, en troquant leur sauvage valeur contre un costume folklorique, mieux adapté aux besoins du marché. Le champs est pillé, et l'on passe dans les allées d'un salon de mode, où de plantureuses dentelles vendent leurs charmes aux plus offrants, espérant ainsi, plus tard, être rangée, solitaire à nouveau, sur le coin d'un meuble ciré, comme tant d'autres objets décoratifs.
Toute couleur tente la garde de sa teinte, en un combat pierreux sans merci. Elles se détestent en douce, toutes, elles se haïssent en silences ; chacune, ferme crampon à son bout, furieuse intégriste. Mais parfois, une est obligée de faire concessions pour tenir sa place, à défaut de tout recouvrir. Deux tactiques, deux philosophies : ménager des zones tampons ou lancer une guerre souterraine, la diplomatie ou la guerre froide. D'un côté, pleine de bons tons, la large duchesse, grise, lance au creux d'à côté une patte élancée. Pas cigogne biseauté à s'y briser : elle sait se faire discrète ; se change d'un poil, fine, grâce à ses plumes moins radicales. En face tonne le stratège rougi se méfie ; mesure est condition du contrôle. J'entends sourdre la tempête. Vite un contrat se signe : fils en barbelé, vigies à toute heure ; ils font un couloir en dépression, un no man's land enivrant. La couleur intermédiaire protège les partis, chacun est chez soi. Mais un jardin conspire, et la large frontière est repère aux mauvais esprits. Il faut envoyer les espions ; le bâtard, le bariolé, le sans conviction écoutent en douce la tactique d'à côté : le royaume écoute l'empire. Mais à se fondre dans la masse se faufiler, l'ambition n'est guère plus loin, Cette terre sera mienne. Suspicion Reine, les teintes, les demis teintes et les quart de teintes n'en font plus qu'à leur tête, le tout vole en éclats dans d'élégants élans, coups de pattes édentées, gencives arrachées, pas plus d'une dent tient debout. Les alliances sont intraitables, et tout grain se gagne tel un fort moyen-âge à coup de jet de pierre, en guerre des tranchées. D'un peu plus loin, si l'on regarde bien, c'est une brique joliment colorée, unie ou harmonieuse, comme rien autour, un sécateur à côté.
"On pourrait écrire un volume entier sur cette question délicate, sur laquelle, on peu le dire, repose l'humanité et sur laquelle aussi elle piétine avec une inconscience prodigieuse. On ne comprend vraiment pas comment il se trouve des gens qui croient encore, à notre époque, où l'instruction a pu leur donner certaines connaissances, qu'il soit possible que l'on puisse donner au pied l'aisance, le bien-être et l'aplomb dans une chaussure achetée de rencontre et qui a été faite sur un modèle uniforme, alors que chacun de nous a sa structure propre qui ne ressemble en rien à celle du voisin ; on doit donc s'enquérir d'un bon cordonnier qui examinera les quelques tares que peut receler le pied: puis on lui en fera prendre la mesure et l'on veillera à ce qu'elle soit relevée exactement et non approximativement, ainsi que cela se pratique presque toujours. Pour cette opération, il ne faut pas que le pied soit suspendu, mais bien posé à plat, appuyé sur le sol, chaussé du bas ou de la chaussette, et cette mesure doit être contrôlée sur les deux pieds, car souvent la nature se complaît à créer des dissemblances.
On ne doit pas changer les bottines de pieds : la courbe interne ne ressemble pas à la courbe externe, dès lors on ne peut que se blesser. La chaussure doit être plutôt longue que courte pour permettre au pied de s'y loger sans gêne ; elle doit être juste pour la largeur, ne pas laisser trop de jeu, ce qui pourrait amener des excoriations, tout en donnant cependant l'aisance qui permet au pied de s'y insérer sans torture ; les orteils ne doivent pas être comprimés au point d'être forcés de chevaucher les uns sur les autres ; il en est de même pour le cou-de-pied, qui se trouverait paralysé s'il était trop étroitement traité. La bottine est de beaucoup préférable au soulier, le pied y est maintenu, réduit, ainsi que le bas de la jambe toujours prédisposé au gonflement, produit par le poids du corps. Les souliers découverts, fort élégants, avec les bas brodés, ajournés, ont le désavantage de laisser au pied une liberté déformante ; la pesanteur du talon détermine un frottement par le va-et-vient, qui abîme le pied et donne à la démarche une allure traînante ; s'épendant à son aise, il grossit, s'épaissit, et il devient dès lors très difficile de le réintégrer dans la bottine strictement ajustée. Il en est de même pour les pantoufles, si agréables à porter chez-soi, mais si préjudiciables pour l'élégance du pied.
Les femmes doivent apporter, dans le choix de leur chaussure, une extrême prudence ; leur extrémités fragiles, leurs attaches fines et délicates, que le moindre grain de sable placé sur leur route peut faire briser, leur enjoignent de se chausser de façon rationnelle ; elles ont en outre, dans les organes essentiels, qu'il importe de maintenir dans la position naturelle, absolument verticale ; le pied, n'étant pas d'aplomb, porte le corps en avant ou en arrière, plus qu'il ne convient, un déplacement s'opère et c'est ainsi que l'on contracte des maladies qui souvent conduisent à l'immobilité et à de réelles souffrances".
1 La Mécanique, Eugène H. Weiss, Chapitre V : "Roulements, palier et arbres de transmission", Pourquoi le mouvement perpétuel est impossible , p. 62 et 63 ; Bibliothèque des merveilles, Paris 1928 Librairie Hachette, 197 p.
2 Nouveau Traité élémentaire d'anatomie descriptive et de préparations anatomiques, A. Jamain, troisième édition, Avant propos, p. III, et Introduction pp. 1-3 ; Paris 1867, Germaire Baillière, Librairie éditeur, 928 p.
3 Les conseil pratiques de Tante Agathe, indispensable à toute bonne maîtresse de maison, Première partie, "Quelques recettes inédites de cuisine", Les œufs, p.57 ; Édition populaire d'ouvrages pratiques, Paris, 318 p.
4 Les conseil pratiques de Tante Agathe, indispensable à toute bonne maîtresse de maison, Troisième partie, "La vie pratique chez soi", Entretien et réparation de la peinture, p.262-263.
5 Le Bréviaire de la Femme, pratiques secrètes de La Beauté, Comtesse de Tramar, "Le pied", p. 203, Paris 1903, Victor-Havard & Cie, Éditeurs, 464 p.