2. Le Sucrier
Il est probable, ou du moins il ne serait pas surprenant, que le trompe-l'œil et les pratiques qui lui sont apparentées ne soient mentionnés dans aucune monographie concernant les courants artistiques de ces cinquante dernières années, a fortiori de la dernière décennie, tant cette école fait mauvaise figure auprès des historiens d'art respectables et des critiques d'art contemporains. Le mépris dont souffre cette école, qui jouit, il faut bien le reconnaître, d'une image déplorable, tient à ce qu'on la considère, à tort ou à raison, comme un regroupement d'artiste tournés vers le passé, dont les critères plastiques sont en parfaite opposition aux canons esthétiques du vingtième siècle. L'hyperréalisme américain n'est jamais oublié dans ces mêmes monographies, preuve que l'on ne peut pas attribuer le dés amour du trompe-l'œil à son caractère résolument figuratif, mais plutôt à la volonté farouche de ce dernier de conserver l'héritage pictural du dix-septième siècle. En effet, si l'hyperréalisme, tout comme le trompe-l'œil, s'évertue à semer le trouble dans nos perceptions, c'est en utilisant de nouvelles techniques graphiques - comme par exemple l'aérogrographe, emprunté aux publicitaires qui réalisaient leurs affiches grâce à cet outil - mais aussi par l'intervention d'un nouvel intermédiaire dans le rapport à la réalité. Les artistes issus de cette école firent de la représentation d'après photo une thématique venant enrichir leur propos, licence qu'aucun peintre trompe-l'œil ne pourrait se permettre, sous peine d'exclusion. Plus encore, alors que les américains firent du monde urbain leur sujet attitré, représentant aussi bien les enseignes publicitaires, que des immeubles modernes emprunts d'une froideur poétisée, ou les moyens de locomotions de toutes sorte ; alors que les hyperréalistes firent de leur figuration, ouverte sur le monde extérieur, une violente arme critique contre la vision lisse du bonheur américain, les peintres trompe-l'œil s'enferment dans leur atelier, contenant leurs sujets dans des boites et leurs boites dans des cadres. Le trompe-l'œil peut alors vite paraître déphasé. Absorbé dans son passéisme, cramponné à ses fins pinceaux, il finit même par sentir le renfermé, toujours au goût de quelques vies bourgeoises fascinées par tant de technique, tant de minutie dans un si petit tableau - " Ça c'est de la peinture ! " - nullement choqué par aucun sujets, tous plus condescendants les uns que les autres, envahi par le simple plaisir de pouvoir contempler ce qui est. La peinture, dira-t-on, ce qui compte c'est la peinture et la peinture seulement, le reste, la poétique ou la politique, tout ce fatras s'efface devant la peinture. Mais il existe une autre voie pour sortir la peinture réaliste de son isolement - qu'il soit volontaire ou non. Peut-être faudrait-il arriver à relire l'histoire et relier, nouveau réalisme et trompe l'œil - tout comme hyperréalisme et Pop Art - les accumulations des uns, les mises en scènes des autres, les vieux objets finis des uns, et les déchets des voisins. Peut-être faudrait-il voir que ce qui est peint chez les uns est collé à la toile chez les autres, deux effets de réalité différents qui procèdent des mêmes objets, des mêmes emboîtages, du même amour de la matière.
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