23. Le sécateur

 

    Toute couleur tente la garde de sa teinte, en un combat pierreux sans merci. Elles se détestent en douce, toutes, elles se haïssent en silences ; chacune, ferme crampon à son bout, furieuse intégriste. Mais parfois, une est obligée de faire concessions pour tenir sa place, à défaut de tout recouvrir. Deux tactiques, deux philosophies : ménager des zones tampons ou lancer une guerre souterraine, la diplomatie ou la guerre froide. D'un côté, pleine de bons tons, la large duchesse, grise, lance au creux d'à côté une patte élancée. Pas cigogne biseauté à s'y briser : elle sait se faire discrète ; se change d'un poil, fine, grâce à ses plumes moins radicales. En face tonne le stratège rougi se méfie ; mesure est condition du contrôle. J'entends sourdre la tempête. Vite un contrat se signe : fils en barbelé, vigies à toute heure ; ils font un couloir en dépression, un no man's land enivrant. La couleur intermédiaire protège les partis, chacun est chez soi. Mais un jardin conspire, et la large frontière est repère aux mauvais esprits. Il faut envoyer les espions ; le bâtard, le bariolé, le sans conviction écoutent en douce la tactique d'à côté : le royaume écoute l'empire. Mais à se fondre dans la masse se faufiler, l'ambition n'est guère plus loin, Cette terre sera mienne. Suspicion Reine, les teintes, les demis teintes et les quart de teintes n'en font plus qu'à leur tête, le tout vole en éclats dans d'élégants élans, coups de pattes édentées, gencives arrachées, pas plus d'une dent tient debout. Les alliances sont intraitables, et tout grain se gagne tel un fort moyen âge à coup de jet de pierre, en guerre des tranchées. D'un peu plus loin, si l'on regarde bien, c'est une brique joliment colorée, unie ou harmonieuse, comme rien autour, un sécateur à côté.