24. Les chaussures

 

 

    "On pourrait écrire un volume entier sur cette question délicate, sur laquelle, on peu le dire, repose l'humanité et sur laquelle aussi elle piétine avec une inconscience prodigieuse. On ne comprend vraiment pas comment il se trouve des gens qui croient encore, à notre époque, où l'instruction a pu leur donner certaines connaissances, qu'il soit possible que l'on puisse donner au pied l'aisance, le bien-être et l'aplomb dans une chaussure achetée de rencontre et qui a été faite sur un modèle uniforme, alors que chacun de nous a sa structure propre qui ne ressemble en rien à celle du voisin ; on doit donc s'enquérir d'un bon cordonnier qui examinera les quelques tares que peut receler le pied: puis on lui en fera prendre la mesure et l'on veillera à ce qu'elle soit relevée exactement et non approximativement, ainsi que cela se pratique presque toujours. Pour cette opération, il ne faut pas que le pied soit suspendu, mais bien posé à plat, appuyé sur le sol, chaussé du bas ou de la chaussette, et cette mesure doit être contrôlée sur les deux pieds, car souvent la nature se complaît à créer des dissemblances.

    On ne doit pas changer les bottines de pieds : la courbe interne ne ressemble pas à la courbe externe, dès lors on ne peut que se blesser. La chaussure doit être plutôt longue que courte pour permettre au pied de s'y loger sans gêne ; elle doit être juste pour la largeur, ne pas laisser trop de jeu, ce qui pourrait amener des excoriations, tout en donnant cependant l'aisance qui permet au pied de s'y insérer sans torture ; les orteils ne doivent pas être comprimés au point d'être forcés de chevaucher les uns sur les autres ; il en est de même pour le cou-de-pied, qui se trouverait paralysé s'il était trop étroitement traité. La bottine est de beaucoup préférable au soulier, le pied y est maintenu, réduit, ainsi que le bas de la jambe toujours prédisposé au gonflement, produit par le poids du corps. Les souliers découverts, fort élégants, avec les bas brodés, ajournés, ont le désavantage de laisser au pied une liberté déformante ; la pesanteur du talon détermine un frottement par le va-et-vient, qui abîme le pied et donne à la démarche une allure traînante ; s’épandant à son aise, il grossit, s'épaissit, et il devient dès lors très difficile de le réintégrer dans la bottine strictement ajustée. Il en est de même pour les pantoufles, si agréables à porter chez-soi, mais si préjudiciables pour l'élégance du pied.

    Les femmes doivent apporter, dans le choix de leur chaussure, une extrême prudence ; leur extrémités fragiles, leurs attaches fines et délicates, que le moindre grain de sable placé sur leur route peut faire briser, leur enjoignent de se chausser de façon rationnelle ; elles ont en outre, dans les organes essentiels, qu'il importe de maintenir dans la position naturelle, absolument verticale ; le pied, n'étant pas d'aplomb, porte le corps en avant ou en arrière, plus qu'il ne convient, un déplacement s'opère et c'est ainsi que l'on contracte des maladies qui souvent conduisent à l'immobilité et à de réelles souffrances".

 

Le Bréviaire de la Femme, pratiques secrètes de La Beauté, Comtesse de Tramar, "Le pied", p. 203, Paris 1903, Victor-Havard & Cie, Éditeurs, 464 p.