5. Vanité aux livres
Le trompe-l'œil - ou la nature morte qui en est issue - est un tour de force. Tant de précision de rigueur et de concision, le public exulte, crie d'émoi devant ce sommet technique. Mais il ne faut pas croire pour autant que cette maîtrise des effets de réalité est froidement manipulée par des machines appliquant de strictes recettes. Cette prouesse est au contraire un exemple parmi d'autre qui atteste la réalité charnelle du peintre. Il y a un praticien qui cherche et recherche, ajuste et réajuste les masses en équilibres ; dans la mesure il faut savoir se tenir à distance raisonnable. Et ce défi est attisé par la recherche constante de sujets impossibles. Le peintre élargit sa gamme de matières à représenter vers le plus difficile, voire l'irréalisable. Pour qu'une toile soit bonne, il ne suffit pas qu'elle sème le trouble chez le spectateur, il faut encore que les matières figurées aient un niveau de complexité suffisante pour susciter le respect, l'admiration ou même la jalousie des autres. Le peintre veut toujours en faire plus, il ne se contente jamais de la simple illusion, il faut qu'elle se fasse dans les contextes les plus ardus, quand les matières, les motifs sont complexes et enchevêtrées. Une fois encore l'idée du trompe-l'œil qui exigeait un peintre effacé, disparaissant derrière sa toile est intenable. Le défi, l'orgueil : le peintre est là, personnage, caractère, tout se lit sur la toile. Intimement lié à ses objets - est-il assimilé, ou se les est-il appropriés ? - il se met en scène, en maître du réalisme, roi de l'illusion. L'ego est là, partout sur la toile il brille. Et la signature, incrusté dans l'objet - écrin vivant - qui devait sceller la disparition du peintre dans son sujet, est parfois aussi le signe d'une conquête indéniable, le drapeau planté dans un nouveau territoire. Il s'ancre sur la toile.
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