17. Les Ampoules 

 

 

    La loupe est un instrument diaboliquement utile, tout comme le microscope. L'œil s'approche, de près et encore plus près qu'à l'accoutumé. C'est assez excitant, il faut bien le reconnaître, de plonger si loin, de sombrer dans le détail de la chose. Plus d'un et beaucoup plus d'un vraisemblablement en ont même perdu la tête et se sont voués à l'étude des insectes, pour travailler sous la loupe, et sur des bactéries pour jouer au microscope. En même temps, l'esprit se grise à faire varier les éclairages, les teintes et les tons chauds ou froids. Le scientifique recherche la bonne ombre et ce juste dégradé ; cela se travaille au millimètre, parce que la scintillation et le chatoiement sont des diamants. Des instruments à l'imprononçable précision deviennent les compagnons fidèles de ces solitaires incurables. L'œil se complaît dans ces jeux savants interminables : décomposer les lumières pour expérimenter les spectres dans le prisme, c'est une petite passion quotidienne. Il va détecter les infimes replis lumineux, les spirales embrouillées de lampe. Mais la vue se trouble et bien vite il faudra des lunettes pour voir correctement : l'outil une fois mis de côté, tous les repères se sont évanouis. Et tout spectateur peine à trouver la bonne place. Car le trompe-l'œil joue aussi sur le fil de ce paradoxe, celui du travail de la miniature : plus on s'approche plus on s'éloigne. Plus il s'affaire à rendre lisible le détail, à restituer fidèlement les modelés - les teintes - les reflets moirées et les aspérités de la matière, plus l'œil s'éloigne et tombe dans l'abstraction. Cela n'est bien-sûr qu'une question d'échelle.